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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.

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"Il importe peu, repartis-je, comment cela s'est
"fait; cependant je vous dirai, (et je sentis qu'il
"fallait mentir effrontement,) que, voyageant
"l'hiver dernier en Russie, son ombre, par un
"froid extraordinaire, gela si fortement sur la
"terre, qu'il lui fut impossible de l'en arracher.
"Il fallut la laisser a la place ou le malheur
"etait arrive." -- "L'ombre postiche que je
"pourrais lui peindre, repondit l'artiste, ne resis-
"terait pas au plus leger mouvement, il la per-
"drait encore infailliblement, lui qui, a en croire
"votre recit, tenait si faiblement a celle qu'il
"avait recue de la nature. Que celui qui ne
"porte point d'ombre ne s'expose pas au solcil;
"c'est le plus raisonnable et le plus saur." Il
se leva a ces mots, et s'eloigna, en me lancant
un regard penetrant que je ne pus supporter.
Je retombai dans mon fauteuil, et je cachai mon
visage dans mes deux mains.

Bendel, en rentrant, me trouva dans cette
attitude, et respectant la douleur de son maeitre,
il allait se retirer en silence. Je levai les yeux,
je succombais sous le fardeau de mes peines,
il les fallait alleger en les versant dans le sein
d'un ami, -- "Bendel, lui criai-je, Bendel, toi

«Il importe peu, repartis-je, comment cela s’est
«fait; cependant je vous dirai, (et je sentis qu’il
«fallait mentir effrontément,) que, voyageant
«l’hiver dernier en Russie, son ombre, par un
«froid extraordinaire, gela si fortement sur la
«terre, qu’il lui fut impossible de l’en arracher.
«Il fallut la laisser à la place où le malheur
«était arrivé.» — «L’ombre postiche que je
«pourrais lui peindre, répondit l’artiste, ne résis-
«terait pas au plus léger mouvement, il la per-
«drait encore infailliblement, lui qui, à en croire
«votre récit, tenait si faiblement à celle qu’il
«avait reçue de la nature. Que celui qui ne
«porte point d’ombre ne s’expose pas au solcil;
«c’est le plus raisonnable et le plus sûr.» Il
se leva à ces mots, et s’éloigna, en me lançant
un regard pénétrant que je ne pus supporter.
Je retombai dans mon fauteuil, et je cachai mon
visage dans mes deux mains.

Bendel, en rentrant, me trouva dans cette
attitude, et respectant la douleur de son maître,
il allait se retirer en silence. Je levai les yeux,
je succombais sous le fardeau de mes peines,
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[27/0045] «Il importe peu, repartis-je, comment cela s’est «fait; cependant je vous dirai, (et je sentis qu’il «fallait mentir effrontément,) que, voyageant «l’hiver dernier en Russie, son ombre, par un «froid extraordinaire, gela si fortement sur la «terre, qu’il lui fut impossible de l’en arracher. «Il fallut la laisser à la place où le malheur «était arrivé.» — «L’ombre postiche que je «pourrais lui peindre, répondit l’artiste, ne résis- «terait pas au plus léger mouvement, il la per- «drait encore infailliblement, lui qui, à en croire «votre récit, tenait si faiblement à celle qu’il «avait reçue de la nature. Que celui qui ne «porte point d’ombre ne s’expose pas au solcil; «c’est le plus raisonnable et le plus sûr.» Il se leva à ces mots, et s’éloigna, en me lançant un regard pénétrant que je ne pus supporter. Je retombai dans mon fauteuil, et je cachai mon visage dans mes deux mains. Bendel, en rentrant, me trouva dans cette attitude, et respectant la douleur de son maître, il allait se retirer en silence. Je levai les yeux, je succombais sous le fardeau de mes peines, il les fallait alléger en les versant dans le sein d’un ami, — «Bendel, lui criai-je, Bendel, toi

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Zitationshilfe: Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 27. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/45>, abgerufen am 19.04.2024.