Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.seau? Ou bien, est-ce pour avoir voulu me seau? Ou bien, est-ce pour avoir voulu me <TEI> <text> <body> <div n="1"> <p><pb facs="#f0120" n="94"/> seau? Ou bien, est-ce pour avoir voulu me<lb/> voler, comme un filou, le bien que vous sup-<lb/> posiez confié à votre seule probité, cette ombre<lb/> que vous savez fort bien m’avoir vendue? Quant<lb/> à moi, je ne vous en veux pas pour cela; je<lb/> trouve tout simple que vous cherchiez à user<lb/> de tous vos avantages, ruse et violence. Que<lb/> d’ailleurs vous vous prêtiez les principes les<lb/> plus sévères, et que dans votre esprit vous<lb/> rêviez à un beau idéal de délicatesse, c’est une<lb/> fantaisie dont je ne m’offense pas. Je n’ai pas,<lb/> en effet, une morale aussi austère que la vôtre,<lb/> mais j’agis comme vous pensez. Dites-moi, par<lb/> exemple, si je vous ai jamais pris à la gorge<lb/> pour avoir votre belle âme, dont vous savez<lb/> que j’ai envie? si jamais je vous ai fait atta-<lb/> quer par quelqu’un de mes gens pour recouvrer<lb/> ma bourse; ou si j’ai essayé, d’ailleurs, de vous<lb/> en priver par quelque tour de passe-passe?»<lb/> Je n’avais rien à répondre; il poursuivit: —<lb/> «C’est fort bien, Monsieur, c’est fort bien;<lb/> vous ne sauriez me souffrir, je le conçois fa-<lb/> cilement, et je ne vous en fais point de repro-<lb/> ches. Il faut nous séparer, cela est clair; et<lb/> je vous avouerai que de mon côté je commence<lb/></p> </div> </body> </text> </TEI> [94/0120]
seau? Ou bien, est-ce pour avoir voulu me
voler, comme un filou, le bien que vous sup-
posiez confié à votre seule probité, cette ombre
que vous savez fort bien m’avoir vendue? Quant
à moi, je ne vous en veux pas pour cela; je
trouve tout simple que vous cherchiez à user
de tous vos avantages, ruse et violence. Que
d’ailleurs vous vous prêtiez les principes les
plus sévères, et que dans votre esprit vous
rêviez à un beau idéal de délicatesse, c’est une
fantaisie dont je ne m’offense pas. Je n’ai pas,
en effet, une morale aussi austère que la vôtre,
mais j’agis comme vous pensez. Dites-moi, par
exemple, si je vous ai jamais pris à la gorge
pour avoir votre belle âme, dont vous savez
que j’ai envie? si jamais je vous ai fait atta-
quer par quelqu’un de mes gens pour recouvrer
ma bourse; ou si j’ai essayé, d’ailleurs, de vous
en priver par quelque tour de passe-passe?»
Je n’avais rien à répondre; il poursuivit: —
«C’est fort bien, Monsieur, c’est fort bien;
vous ne sauriez me souffrir, je le conçois fa-
cilement, et je ne vous en fais point de repro-
ches. Il faut nous séparer, cela est clair; et
je vous avouerai que de mon côté je commence
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