Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.des que j'aurais recouvre la propriete de mon Les coudes appuyes sur mes genoux, ca- "Vous paraissez oublier, Monsieur, que si "Vous me haissez, Monsieur, je le sais; dès que j’aurais recouvré la propriété de mon Les coudes appuyés sur mes genoux, ca- «Vous paraissez oublier, Monsieur, que si «Vous me haïssez, Monsieur, je le sais; <TEI> <text> <body> <div n="1"> <p><pb facs="#f0119" n="93"/> dès que j’aurais recouvré la propriété de mon<lb/> ombre.</p><lb/> <p>Les coudes appuyés sur mes genoux, ca-<lb/> chant mon visage dans mes deux mains, je prê-<lb/> tais l’oreille au corrupteur, et mon coeur hési-<lb/> tait entre les attraits de la séduction et l’aus-<lb/> térité de ma volonté. Je ne pouvais plus long-<lb/> temps rester ainsi en guerre avec moi-même;<lb/> j’engageai enfin un combat qui devait être dé-<lb/> cisif.</p><lb/> <p>«Vous paraissez oublier, Monsieur, que si<lb/> je vous ai permis de m’accompagner jusqu’ici,<lb/> ce n’a été qu’à certaines conditions, et que je<lb/> me suis réservé mon entière liberté. — Dites<lb/> un mot, répondit-il, et je ferai mon paquet.»<lb/> Cette sorte de menace lui était familière. Je<lb/> gardai le silence; il se mit en devoir de reployer<lb/> mon ombre et de l’emporter. Je pâlis, mais je<lb/> le laissai faire. Il acheva, et un long silence<lb/> suivit. Il reprit enfin la parole:</p><lb/> <p>«Vous me haïssez, Monsieur, je le sais;<lb/> mais pourquoi me haïssez-vous? serait-ce pour<lb/> m’avoir attaqué en voleur de grand chemin, et<lb/> vous être applaudi, dans votre sagesse, de<lb/> m’avoir dépouillé un moment de mon nid d’oi-<lb/></p> </div> </body> </text> </TEI> [93/0119]
dès que j’aurais recouvré la propriété de mon
ombre.
Les coudes appuyés sur mes genoux, ca-
chant mon visage dans mes deux mains, je prê-
tais l’oreille au corrupteur, et mon coeur hési-
tait entre les attraits de la séduction et l’aus-
térité de ma volonté. Je ne pouvais plus long-
temps rester ainsi en guerre avec moi-même;
j’engageai enfin un combat qui devait être dé-
cisif.
«Vous paraissez oublier, Monsieur, que si
je vous ai permis de m’accompagner jusqu’ici,
ce n’a été qu’à certaines conditions, et que je
me suis réservé mon entière liberté. — Dites
un mot, répondit-il, et je ferai mon paquet.»
Cette sorte de menace lui était familière. Je
gardai le silence; il se mit en devoir de reployer
mon ombre et de l’emporter. Je pâlis, mais je
le laissai faire. Il acheva, et un long silence
suivit. Il reprit enfin la parole:
«Vous me haïssez, Monsieur, je le sais;
mais pourquoi me haïssez-vous? serait-ce pour
m’avoir attaqué en voleur de grand chemin, et
vous être applaudi, dans votre sagesse, de
m’avoir dépouillé un moment de mon nid d’oi-
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