lui dit-il, venez-vous si souvent vous exposer a l'air dangereux qui regne ici? votre sort est- il donc si amer que vous cherchiez la mort? -- Non, mon respectable ami, rendue a moi-meme, depuis que mes songes se sont dissipes, je suis satisfaite, et ne souhaite, ni ne crains plus la mort. Je contemple avec une egale serenite le passe et l'avenir; et ne goautez-vous pas vous- meme une secrete felicite a servir aussi pieuse- ment que vous le faites, votre ancien maeitre et votre ami? -- Oui, Madame, grace a Dieu. Quelle a ete notre destinee! nous avons incon- siderement, et sans y reflechir, epuise toutes les joies et toutes les douleurs de la vie; la coupe est vide aujourd'hui. Il semblerait que le seul fruit que nous ayons recueilli de l'exis- tence, faut la prudence qu'il nous eaut ete utile d'avoir pour en fournir la carriere, et l'on se- rait tente d'attendre, qu'apres cette instructive repetition, la scene veritable se rouvreit devant nous. Cependant une toute autre scene nous appelle, et nous ne regrettons pas les illusions qui nous ont trompes, dont nous avons joui, et dont le souvenir nous est encore cher. J'ose esperer que, comme nous, notre vieil ami est
lui dit-il, venez-vous si souvent vous exposer à l’air dangereux qui règne ici? votre sort est- il donc si amer que vous cherchiez la mort? — Non, mon respectable ami, rendue à moi-même, depuis que mes songes se sont dissipés, je suis satisfaite, et ne souhaite, ni ne crains plus la mort. Je contemple avec une égale sérénité le passé et l’avenir; et ne goûtez-vous pas vous- même une secrète félicité à servir aussi pieuse- ment que vous le faites, votre ancien maître et votre ami? — Oui, Madame, grâce à Dieu. Quelle a été notre destinée! nous avons incon- sidérément, et sans y réfléchir, épuisé toutes les joies et toutes les douleurs de la vie; la coupe est vide aujourd’hui. Il semblerait que le seul fruit que nous ayons recueilli de l’exis- tence, fût la prudence qu’il nous eût été utile d’avoir pour en fournir la carrière, et l’on se- rait tenté d’attendre, qu’après cette instructive répétition, la scène véritable se rouvrît devant nous. Cependant une toute autre scène nous appelle, et nous ne regrettons pas les illusions qui nous ont trompés, dont nous avons joui, et dont le souvenir nous est encore cher. J’ose espérer que, comme nous, notre vieil ami est
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lui dit-il, venez-vous si souvent vous exposer
à l’air dangereux qui règne ici? votre sort est-
il donc si amer que vous cherchiez la mort? —
Non, mon respectable ami, rendue à moi-même,
depuis que mes songes se sont dissipés, je suis
satisfaite, et ne souhaite, ni ne crains plus la
mort. Je contemple avec une égale sérénité le
passé et l’avenir; et ne goûtez-vous pas vous-
même une secrète félicité à servir aussi pieuse-
ment que vous le faites, votre ancien maître
et votre ami? — Oui, Madame, grâce à Dieu.
Quelle a été notre destinée! nous avons incon-
sidérément, et sans y réfléchir, épuisé toutes
les joies et toutes les douleurs de la vie; la
coupe est vide aujourd’hui. Il semblerait que
le seul fruit que nous ayons recueilli de l’exis-
tence, fût la prudence qu’il nous eût été utile
d’avoir pour en fournir la carrière, et l’on se-
rait tenté d’attendre, qu’après cette instructive
répétition, la scène véritable se rouvrît devant
nous. Cependant une toute autre scène nous
appelle, et nous ne regrettons pas les illusions
qui nous ont trompés, dont nous avons joui,
et dont le souvenir nous est encore cher. J’ose
espérer que, comme nous, notre vieil ami est
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 116. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/148>, abgerufen am 28.07.2024.
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