geois et avec detail. Nous arrivames au lit d'un torrent, qui avait ravage une assez vaste eten- due de la foret. Ce large espace eclaire par le soleil me fit frissonner interieurement. Je lais- sai mon compagnon passer devant moi, mais il s'arreta au milieu de cette dangereuse traversee, et se retourna vers moi, pour me raconter l'histoire et la date du debordement dont nous voyions les traces. Il s'apercut bientot de ce qui me manquait, et s'interrompant dans sa narration -- "Comment donc? dit-il, Monsieur n'a point d'ombre? -- Helas! non, repondis-je en gemis- sant; je l'ai perdue, ainsi que mes cheveux et mes ongles dans une longue et cruelle maladie. Voyez, brave homme, a mon age, quels sont les cheveux qui me sont revenus; ils sont tout blancs; mes ongles sont encore courts, et pour mon ombre, elle ne veut pas repousser." Il secoua la tete en froncant le sourcil, et repeta: "Point d'ombre! point d'ombre! cela ne vaut rien, c'est une mauvaise maladie que Monsieur a eue la." Il ne reprit pas le recit qu'il avait interrompu, et il me quitta sans rien dire, au premier carrefour qui se presenta. Mon coeur se gonfla de nouveau, de nouvelles larmes cou-
geois et avec détail. Nous arrivâmes au lit d’un torrent, qui avait ravagé une assez vaste éten- due de la forêt. Ce large espace éclairé par le soleil me fit frissonner intérieurement. Je lais- sai mon compagnon passer devant moi, mais il s’arrêta au milieu de cette dangereuse traversée, et se retourna vers moi, pour me raconter l’histoire et la date du débordement dont nous voyions les traces. Il s’aperçut bientôt de ce qui me manquait, et s’interrompant dans sa narration — «Comment donc? dit-il, Monsieur n’a point d’ombre? — Hélas! non, répondis-je en gémis- sant; je l’ai perdue, ainsi que mes cheveux et mes ongles dans une longue et cruelle maladie. Voyez, brave homme, à mon âge, quels sont les cheveux qui me sont revenus; ils sont tout blancs; mes ongles sont encore courts, et pour mon ombre, elle ne veut pas repousser.» Il secoua la tête en fronçant le sourcil, et répéta: «Point d’ombre! point d’ombre! cela ne vaut rien, c’est une mauvaise maladie que Monsieur a eue là.» Il ne reprit pas le récit qu’il avait interrompu, et il me quitta sans rien dire, au premier carrefour qui se présenta. Mon coeur se gonfla de nouveau, de nouvelles larmes cou-
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geois et avec détail. Nous arrivâmes au lit d’un
torrent, qui avait ravagé une assez vaste éten-
due de la forêt. Ce large espace éclairé par
le soleil me fit frissonner intérieurement. Je lais-
sai mon compagnon passer devant moi, mais il
s’arrêta au milieu de cette dangereuse traversée,
et se retourna vers moi, pour me raconter l’histoire
et la date du débordement dont nous voyions
les traces. Il s’aperçut bientôt de ce qui me
manquait, et s’interrompant dans sa narration —
«Comment donc? dit-il, Monsieur n’a point
d’ombre? — Hélas! non, répondis-je en gémis-
sant; je l’ai perdue, ainsi que mes cheveux et
mes ongles dans une longue et cruelle maladie.
Voyez, brave homme, à mon âge, quels sont
les cheveux qui me sont revenus; ils sont tout
blancs; mes ongles sont encore courts, et pour
mon ombre, elle ne veut pas repousser.» Il
secoua la tête en fronçant le sourcil, et répéta:
«Point d’ombre! point d’ombre! cela ne vaut
rien, c’est une mauvaise maladie que Monsieur
a eue là.» Il ne reprit pas le récit qu’il avait
interrompu, et il me quitta sans rien dire, au
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 101. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/129>, abgerufen am 24.07.2024.
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