dant recueilli sur ma main, avec le bec d'une plume nouvellement taillee, une goutte de sang qui coulait des blessures que les epines m'a- vaient faites, et il me la presentait.
"Qui donc etes-vous? lui dis-je a la fin. -- Que vous importe, me repondit-il, et d'ailleurs, ne le voyez-vous pas? je suis un pauvre diable, une espece de savant, de physicien qui, pour prix de tout le mal qu'il se donne a servir ses amis, n'est paye par eux que d'ingratitude, et n'a d'autre amusement dans ce monde que celui qu'il prend a ses experiences. Mais, signez donc! la, au bas de l'ecriture, Pierre Schle- mihl."
Je secouai la tete, et lui dis: "Pardon- nez-moi, Monsieur, je ne signerai pas. -- Vous ne signerez pas! reprit-il avec l'expression de la surprise. Et pourquoi pas? -- Mais, lui dis-je, il me semble que c'est une chose qui merite au moins reflexion: racheter mon ombre au prix de mon ame? -- Ah! ah! reprit-il, en partant d'un grand eclat de rire, une chose qui merite reflexion! Mais, oserai-je vous de- mander, Monsieur, ce que c'est que votre ame? l'avez-vous jamais vue? et que comptez-vous
dant recueilli sur ma main, avec le bec d’une plume nouvellement taillée, une goutte de sang qui coulait des blessures que les épines m’a- vaient faites, et il me la présentait.
«Qui donc êtes-vous? lui dis-je à la fin. — Que vous importe, me répondit-il, et d’ailleurs, ne le voyez-vous pas? je suis un pauvre diable, une espèce de savant, de physicien qui, pour prix de tout le mal qu’il se donne à servir ses amis, n’est payé par eux que d’ingratitude, et n’a d’autre amusement dans ce monde que celui qu’il prend à ses expériences. Mais, signez donc! là, au bas de l’écriture, Pierre Schlé- mihl.»
Je secouai la tête, et lui dis: «Pardon- nez-moi, Monsieur, je ne signerai pas. — Vous ne signerez pas! reprit-il avec l’expression de la surprise. Et pourquoi pas? — Mais, lui dis-je, il me semble que c’est une chose qui mérite au moins réflexion: racheter mon ombre au prix de mon âme? — Ah! ah! reprit-il, en partant d’un grand éclat de rire, une chose qui mérite réflexion! Mais, oserai-je vous de- mander, Monsieur, ce que c’est que votre âme? l’avez-vous jamais vue? et que comptez-vous
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dant recueilli sur ma main, avec le bec d’une
plume nouvellement taillée, une goutte de sang
qui coulait des blessures que les épines m’a-
vaient faites, et il me la présentait.
«Qui donc êtes-vous? lui dis-je à la fin. —
Que vous importe, me répondit-il, et d’ailleurs,
ne le voyez-vous pas? je suis un pauvre diable,
une espèce de savant, de physicien qui, pour
prix de tout le mal qu’il se donne à servir ses
amis, n’est payé par eux que d’ingratitude, et
n’a d’autre amusement dans ce monde que celui
qu’il prend à ses expériences. Mais, signez
donc! là, au bas de l’écriture, Pierre Schlé-
mihl.»
Je secouai la tête, et lui dis: «Pardon-
nez-moi, Monsieur, je ne signerai pas. — Vous
ne signerez pas! reprit-il avec l’expression de
la surprise. Et pourquoi pas? — Mais, lui
dis-je, il me semble que c’est une chose qui
mérite au moins réflexion: racheter mon ombre
au prix de mon âme? — Ah! ah! reprit-il,
en partant d’un grand éclat de rire, une chose
qui mérite réflexion! Mais, oserai-je vous de-
mander, Monsieur, ce que c’est que votre âme?
l’avez-vous jamais vue? et que comptez-vous
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 60. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/82>, abgerufen am 26.06.2024.
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