Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.Une lettre de Mina, ecrite dans ce temps, "J'ai de bien folles pensees. Je m'imagine Une lettre de Mina, écrite dans ce temps, «J’ai de bien folles pensées. Je m’imagine <TEI> <text> <body> <div n="1"> <pb facs="#f0067" n="47"/> <p>Une lettre de Mina, écrite dans ce temps,<lb/> me tombe en ce moment sous la main. Oui,<lb/> c’est son écriture! je vais te la transcrire.</p><lb/> <p>«J’ai de bien folles pensées. Je m’imagine<lb/> que mon ami, parce que j’ai pour lui beaucoup<lb/> d’amour, pourrait craindre de m’affliger. Tu<lb/> es si bon, si incomparablement bon! Entends-<lb/> moi bien: il ne faut pas que tu me fasses au-<lb/> cun sacrifice; il ne faut pas que tu veuilles m’en<lb/> faire aucun. Mon Dieu, si je le croyais, je<lb/> pourrais me haïr Non, tu m’as rendue infini-<lb/> ment heureuse, tu t’es fait aimer. Pars. Je<lb/> n’ignore pas mon destin. Le comte Pierre ne<lb/> saurait m’appartenir! il appartient au monde<lb/> entier. Avec quel orgueil j’entendrai dire: Voilà<lb/> où il a passé; voilà ce qu’il a fait; voilà ce<lb/> qu’on lui doit; là, on a béni son nom, et là,<lb/> on l’a adoré. Quand j’y songe, je pourrais t’en<lb/> vouloir d’oublier tes grandes destinées auprès<lb/> d’une pauvre enfant. Pars, mon ami, ou cette<lb/> pensée détruira mon bonheur, moi qui suis par<lb/> toi si heureuse. N’ai-je pas orné ta vie d’un<lb/> bouton de rose comme j’en avait mêlé dans la<lb/> couronne que je t’offris. Ne crains pas de me<lb/> quitter, ô mon ami, je te possède tout entier<lb/></p> </div> </body> </text> </TEI> [47/0067]
Une lettre de Mina, écrite dans ce temps,
me tombe en ce moment sous la main. Oui,
c’est son écriture! je vais te la transcrire.
«J’ai de bien folles pensées. Je m’imagine
que mon ami, parce que j’ai pour lui beaucoup
d’amour, pourrait craindre de m’affliger. Tu
es si bon, si incomparablement bon! Entends-
moi bien: il ne faut pas que tu me fasses au-
cun sacrifice; il ne faut pas que tu veuilles m’en
faire aucun. Mon Dieu, si je le croyais, je
pourrais me haïr Non, tu m’as rendue infini-
ment heureuse, tu t’es fait aimer. Pars. Je
n’ignore pas mon destin. Le comte Pierre ne
saurait m’appartenir! il appartient au monde
entier. Avec quel orgueil j’entendrai dire: Voilà
où il a passé; voilà ce qu’il a fait; voilà ce
qu’on lui doit; là, on a béni son nom, et là,
on l’a adoré. Quand j’y songe, je pourrais t’en
vouloir d’oublier tes grandes destinées auprès
d’une pauvre enfant. Pars, mon ami, ou cette
pensée détruira mon bonheur, moi qui suis par
toi si heureuse. N’ai-je pas orné ta vie d’un
bouton de rose comme j’en avait mêlé dans la
couronne que je t’offris. Ne crains pas de me
quitter, ô mon ami, je te possède tout entier
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