J'avoue que je n'etais pas fache de lui pro- curer quelque occupation qui l'eloignat de nous. C'etait une ruse que j'avais deja employee plu- sieurs fois, car le bon homme ne laissait pas que d'etre un peu fatigant. Pour la mere, elle avait l'ouie dure, et n'etait pas, comme son mari, jalouse de l'honneur d'entretenir M. le comte. Ces heureux parens me presserent de prolonger avec eux la soiree. Il fallut me re- fuser a leurs instances. Nous etions au milieu du jardin, et deja je voyais la clarte de la lune s'elever a l'horizon; je n'avais pas une minute a perdre, mon temps etait accompli.
Le lendemain je revins au meme lieu. J'a- vais jete mon manteau sur mes epaules, et ra- battu mon chapeau sur mes yeux; je m'avancai vers Mina; elle leva les yeux sur moi, et tres- saillit. A ce mouvement je me rappelai cette nuit lugubre, ou jadis je m'etais expose sans ombre aux rayons de la lune. En effet, c'etait elle-meme que j'avais vue cette nuit-la; m'avait-elle aussi reconnu? Elle etait silencieuse et abattue; ma poitrine etait oppressee. Je me levai de mon siege; elle se jeta sans rien dire dans mon sein, et l'inonda de ses pleurs. Je m'eloignai.
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J’avoue que je n’étais pas fâché de lui pro- curer quelque occupation qui l’éloignât de nous. C’était une ruse que j’avais déjà employée plu- sieurs fois, car le bon homme ne laissait pas que d’être un peu fatigant. Pour la mère, elle avait l’ouïe dure, et n’était pas, comme son mari, jalouse de l’honneur d’entretenir M. le comte. Ces heureux parens me pressèrent de prolonger avec eux la soirée. Il fallut me re- fuser à leurs instances. Nous étions au milieu du jardin, et déjà je voyais la clarté de la lune s’élever à l’horizon; je n’avais pas une minute à perdre, mon temps était accompli.
Le lendemain je revins au même lieu. J’a- vais jeté mon manteau sur mes épaules, et ra- battu mon chapeau sur mes yeux; je m’avançai vers Mina; elle leva les yeux sur moi, et tres- saillit. A ce mouvement je me rappelai cette nuit lugubre, où jadis je m’étais exposé sans ombre aux rayons de la lune. En effet, c’était elle-même que j’avais vue cette nuit-là; m’avait-elle aussi reconnu? Elle était silencieuse et abattue; ma poitrine était oppressée. Je me levai de mon siége; elle se jeta sans rien dire dans mon sein, et l’inonda de ses pleurs. Je m’éloignai.
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J’avoue que je n’étais pas fâché de lui pro-
curer quelque occupation qui l’éloignât de nous.
C’était une ruse que j’avais déjà employée plu-
sieurs fois, car le bon homme ne laissait pas
que d’être un peu fatigant. Pour la mère, elle
avait l’ouïe dure, et n’était pas, comme son
mari, jalouse de l’honneur d’entretenir M. le
comte. Ces heureux parens me pressèrent de
prolonger avec eux la soirée. Il fallut me re-
fuser à leurs instances. Nous étions au milieu
du jardin, et déjà je voyais la clarté de la lune
s’élever à l’horizon; je n’avais pas une minute
à perdre, mon temps était accompli.
Le lendemain je revins au même lieu. J’a-
vais jeté mon manteau sur mes épaules, et ra-
battu mon chapeau sur mes yeux; je m’avançai
vers Mina; elle leva les yeux sur moi, et tres-
saillit. A ce mouvement je me rappelai cette nuit
lugubre, où jadis je m’étais exposé sans ombre
aux rayons de la lune. En effet, c’était elle-même
que j’avais vue cette nuit-là; m’avait-elle aussi
reconnu? Elle était silencieuse et abattue; ma
poitrine était oppressée. Je me levai de mon
siége; elle se jeta sans rien dire dans mon sein,
et l’inonda de ses pleurs. Je m’éloignai.
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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 51. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/71>, abgerufen am 23.07.2024.
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