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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.

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enfant, j'avois enchaeine toutes les puissances
de son etre. Elle se demandait, dans son hu-
milite, comment elle avait pu meriter que je
jetasse les yeux sur elle. Elle me rendait amour
pour amour; elle m'aimait avec toute l'energie
d'un coeur innocent et neuf. Elle m'aimait, comme
les femmes savent aimer: s'ignorant, se sacri-
fiant elle-meme, sans savoir ce que c'est qu'un sa-
crifice, ne songeant qu'a l'objet aime, ne vivant
qu'en lui, que pour lui: oui, j'etais aime!

Et moi cependant; o quelles heures terribles,
heures pourtant que rappellent mes regrets, j'ai
passe dans les larmes, entre les bras de Ben-
del, depuis que revenu d'une premiere ivresse,
je fus rentre dans moi-meme. Moi, dont le
barbare egoisme, du sein de mon ignominie,
abusait, trahissait, entraeinait apres moi dans le
precipice cette ame pure et angelique: alors je
prenais la resolution de m'accuser moi-meme
devant elle; ou soudain je faisais le serment
de m'arracher de ces lieux, de fuir pour ja-
mais sa presence; puis, je repandais de nou-
veaux torrens de larmes, et je finissais par
concerter avec Bendel les moyens de la revoir
le soir meme dans le jardin de son pere.

enfant, j’avois enchaîné toutes les puissances
de son être. Elle se demandait, dans son hu-
milité, comment elle avait pu mériter que je
jetasse les yeux sur elle. Elle me rendait amour
pour amour; elle m’aimait avec toute l’énergie
d’un coeur innocent et neuf. Elle m’aimait, comme
les femmes savent aimer: s’ignorant, se sacri-
fiant elle-même, sans savoir ce que c’est qu’un sa-
crifice, ne songeant qu’à l’objet aimé, ne vivant
qu’en lui, que pour lui: oui, j’étais aimé!

Et moi cependant; ô quelles heures terribles,
heures pourtant que rappellent mes regrets, j’ai
passé dans les larmes, entre les bras de Ben-
del, depuis que revenu d’une première ivresse,
je fus rentré dans moi-même. Moi, dont le
barbare égoïsme, du sein de mon ignominie,
abusait, trahissait, entraînait après moi dans le
précipice cette âme pure et angélique: alors je
prenais la résolution de m’accuser moi-même
devant elle; ou soudain je faisais le serment
de m’arracher de ces lieux, de fuir pour ja-
mais sa présence; puis, je répandais de nou-
veaux torrens de larmes, et je finissais par
concerter avec Bendel les moyens de la revoir
le soir même dans le jardin de son père.

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[45/0065] enfant, j’avois enchaîné toutes les puissances de son être. Elle se demandait, dans son hu- milité, comment elle avait pu mériter que je jetasse les yeux sur elle. Elle me rendait amour pour amour; elle m’aimait avec toute l’énergie d’un coeur innocent et neuf. Elle m’aimait, comme les femmes savent aimer: s’ignorant, se sacri- fiant elle-même, sans savoir ce que c’est qu’un sa- crifice, ne songeant qu’à l’objet aimé, ne vivant qu’en lui, que pour lui: oui, j’étais aimé! Et moi cependant; ô quelles heures terribles, heures pourtant que rappellent mes regrets, j’ai passé dans les larmes, entre les bras de Ben- del, depuis que revenu d’une première ivresse, je fus rentré dans moi-même. Moi, dont le barbare égoïsme, du sein de mon ignominie, abusait, trahissait, entraînait après moi dans le précipice cette âme pure et angélique: alors je prenais la résolution de m’accuser moi-même devant elle; ou soudain je faisais le serment de m’arracher de ces lieux, de fuir pour ja- mais sa présence; puis, je répandais de nou- veaux torrens de larmes, et je finissais par concerter avec Bendel les moyens de la revoir le soir même dans le jardin de son père.

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Zitationshilfe: Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 45. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/65>, abgerufen am 04.12.2024.