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Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.

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Tel etait en effet le caractere qu'avait pris en
moi le desespoir. Mon infortune se presentait
a moi comme une fatale necessite: je n'avais
plus de larmes a lui donner; aucun gemisse-
ment, aucun cri, ne pouvait plus sortir de mon
sein. Je courbais avec une apparente indiffe-
rence une tete devouee sous la main invisible
qui m'opprimait.

"Bendel, lui dis-je, tu connais mon sort.
Je n'ai pas laisse de provoquer le chatiment qui
me poursuit. Je ne veux pas t'associer plus long-
temps a ma destinee, toi dont le bon coeur et
l'innocence meritent un meilleur sort. Selle-
moi un cheval; je vais partir. Separons-nous;
je le veux. Il doit encore rester ici quelques
caisses remplis d'or; garde-les; pour moi, je
vais seul et sans but parcourir le monde. Si
jamais je revois des jours plus sereins, si le
bonheur daigne encore me sourire, alors je pen-
serai fidelement a toi; car dans les heures de
l'adversite, j'ai plus d'une fois repandu des lar-
mes dans ton sein."

Il fallut que Bendel, effraye de ma reso-
lution, et le coeur dechire, obeeit a ce dernier
ordre de son maeitre. Sourd a ses representa-

Tel était en effet le caractère qu’avait pris en
moi le désespoir. Mon infortune se présentait
à moi comme une fatale nécessité: je n’avais
plus de larmes à lui donner; aucun gémisse-
ment, aucun cri, ne pouvait plus sortir de mon
sein. Je courbais avec une apparente indiffé-
rence une tête dévouée sous la main invisible
qui m’opprimait.

«Bendel, lui dis-je, tu connais mon sort.
Je n’ai pas laissé de provoquer le châtiment qui
me poursuit. Je ne veux pas t’associer plus long-
temps à ma destinée, toi dont le bon coeur et
l’innocence méritent un meilleur sort. Selle-
moi un cheval; je vais partir. Séparons-nous;
je le veux. Il doit encore rester ici quelques
caisses remplis d’or; garde-les; pour moi, je
vais seul et sans but parcourir le monde. Si
jamais je revois des jours plus sereins, si le
bonheur daigne encore me sourire, alors je pen-
serai fidèlement à toi; car dans les heures de
l’adversité, j’ai plus d’une fois répandu des lar-
mes dans ton sein.»

Il fallut que Bendel, effrayé de ma réso-
lution, et le coeur déchiré, obéît à ce dernier
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[84/0108] Tel était en effet le caractère qu’avait pris en moi le désespoir. Mon infortune se présentait à moi comme une fatale nécessité: je n’avais plus de larmes à lui donner; aucun gémisse- ment, aucun cri, ne pouvait plus sortir de mon sein. Je courbais avec une apparente indiffé- rence une tête dévouée sous la main invisible qui m’opprimait. «Bendel, lui dis-je, tu connais mon sort. Je n’ai pas laissé de provoquer le châtiment qui me poursuit. Je ne veux pas t’associer plus long- temps à ma destinée, toi dont le bon coeur et l’innocence méritent un meilleur sort. Selle- moi un cheval; je vais partir. Séparons-nous; je le veux. Il doit encore rester ici quelques caisses remplis d’or; garde-les; pour moi, je vais seul et sans but parcourir le monde. Si jamais je revois des jours plus sereins, si le bonheur daigne encore me sourire, alors je pen- serai fidèlement à toi; car dans les heures de l’adversité, j’ai plus d’une fois répandu des lar- mes dans ton sein.» Il fallut que Bendel, effrayé de ma réso- lution, et le coeur déchiré, obéît à ce dernier ordre de son maître. Sourd à ses représenta-

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Zitationshilfe: Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838, S. 84. In: Deutsches Textarchiv <https://www.deutschestextarchiv.de/19_ZZ_2786/108>, abgerufen am 28.11.2024.